Cette semaine, le choix de l’article qui vous est rapporté a été confié à notre rédactrice en chef, Michèle Reners, qui a choisi pour son coup de cœur une méta-analyse à paraître concernant l’influence réciproque des désordres émotionnels et de la maladie parodontale.
L’équipe chinoise auteure de cet article nous livre ainsi une revue de littérature systématique complétée d’une méta-analyse portant à la fois sur les grandes bases de données médicales en anglais mais aussi en chinois en utilisant la base de données SinoMed pour répondre à la question suivante : « Existe-t-il un lien entre la maladie parodontale et les désordres émotionnels que sont la dépression et l’anxiété chez les patients âgés de plus de 14 ans ? » Les auteurs ont appliqué rigoureusement les grands standards méthodologiques internationaux pour sélectionner 40 articles correspondant à tous leurs critères d’inclusion sur les 2 564 repérés par les moteurs de recherche selon les mots clés choisis. La méta-analyse conduite sur les études cliniques contrôlées incluses révèle une association positive entre maladie parodontale et dépression. Par ailleurs, une méta-analyse portant sur 12 études révèle également une corrélation entre maladie parodontale et anxiété.
Dans leur discussion, les auteurs abordent quelques pistes explicatives en évoquant d’emblée une influence réciproque entre les deux types de pathologies parodontale et émotionnelle. L’un des premiers mécanismes pathogéniques évoqué est d’ordre compor-temental avec une plus grande exposition aux facteurs de risques parodontaux chez les patients en dépression, davantage sujets au tabagisme, à la consommation d’alcool, et à plus de négligence en matière d’hygiène dentaire. Mais un autre mécanisme serait aussi physiologique, les désordres dépressifs et de forte anxiété provoquant un dérèglement du complexe hypothalamo-pituitaire capable d’interférer négativement sur l’immunité et de provoquer des « averses » de facteurs pro-inflammatoires. S’ensuit une fragilité immunitaire favorisant le développement des micro-organismes pathogènes et la destruction des tissus parodontaux. Dans l’autre sens, la maladie parodontale favoriserait les désordres émotionnels de diverses manières. L’action pourrait être double. D’abord par la réponse inflammatoire et par la virulence des agents pathogènes buccaux susceptibles d’affecter directement certaines fonctions cérébrales, ensuite par l’influence psychosociale liée à l’expression clinique de la maladie parodontale telle que la mauvaise haleine qui peut aussi atteindre l’équilibre émotionnel du patient.
Les auteurs concluent que la compréhension des relations entre désordres émotionnels et maladie parodontale peut être utile à des fin de prévention et de traitement de ces deux types de pathologies et invitent les praticiens odontologistes à être attentifs au contexte anxieux ou dépressif de leurs patients pour une meilleure prise en charge des maladies parodontales, même s’ils concèdent que d’autres études sont nécessaires pour préciser leurs recommandations du fait de l’hétérogénéité des données intégrées dans leurs méta-analyses.
3 questions à…
Pourquoi avoir choisi cet article, et ce thème plus globalement, comme coup de cœur ?
Depuis que je pratique la parodontologie de manière exclusive, j’ai toujours été marquée par la répercussion des événements de la vie sur l’évolution de la maladie parodontale. En Belgique, nous n’avions pas d’hygiénistes dentaires et cela m’a permis de suivre de près tous mes patients ; j’en revoyais certains tous les 3 mois pour une séance de suivi parodontal. J’ai remarqué alors que des patients considérés comme stabilisés, avec un bon contrôle de plaque, montraient parfois des signes d’activité que je n’expliquais pas. En discutant avec eux, j’apprenais, par exemple, que l’un avait perdu son épouse, que l’autre était sans emploi. À l’époque, la relation entre la « gingivite ulcéro-nécrotique » (actuelle parodontite nécrosante) et les facteurs de stress était reconnue. Concernant la parodontite à évolution rapide (grade C actuel), peu d’études – cas contrôles et études pilotes pour la plupart – montraient la présence de ce lien. Depuis, de plus en plus d’études à haut niveau de preuve, telles les méta-analyses, ont confirmé que le facteur de stress était à prendre en compte dans le développement et l’évolution de la maladie parodontale.
L’intérêt de cet article est multiple. D’une part, il prend en compte les études chinoises qui n’ont pas été reprises dans d’autres méta-analyses et qui sont très intéressantes. D’autre part, ses auteurs mettent en avant une influence réciproque de ces deux maladies, élément moins connu. Cette étude est à haut niveau de preuve et, bien qu’ils concluent que les études sont hétérogènes, les auteurs conseillent de prendre en compte le facteur émotionnel en pratique.
L’avenir me semble prometteur si on arrive à élaborer des tests pour quantifier objectivement la quantité de stress et ainsi évoluer vers la médecine parodontale de précision.
L’article montre un lien entre maladie parodontale et désordres émotionnels que sont l’anxiété et la dépression. Mais peut-on mettre sur le même plan une anxiété aiguë liée à une période particulière (examen, soucis professionnels…) et un état dépressif chronique avec prise en charge médicamenteuse ?
En effet, il ne faut pas confondre la dépression, dont les causes ne sont pas nécessairement liées à un stress, et l’anxiété aiguë, due à un événement stressant. En revanche, un état de stress peut évoluer vers une dépression et devenir de l’anxiété chronique s’il n’est pas traité dès le début. Quoi qu’il en soit, il est important de mettre en évidence le facteur dépression/anxiété car ils sont en relation avec les maladies parodontales. En effet, dans les deux situations, le comportement du patient changera, se traduisant, selon les patients, par une moins bonne hygiène dentaire, des visites moins régulières chez le dentiste, une hausse de la consommation de tabac, d’alcool et de médicaments (entre autres)… Par ailleurs, l’axe HPA sera stimulé et provoquera une diminution des défenses immunitaires.
La santé psychique d’un patient est un facteur à prendre en compte avant tout traitement parodontal, et je dirais même avant tout plan de traitement dentaire.
Dans le cadre d’une maladie parodontale, comment le praticien doit-il aborder la relation possible avec des désordres émotionnels dans son anamnèse, son diagnostic puis la conduite de son traitement parodontal ?
En raison du caractère multifactoriel de la maladie parodontale, nous devons, dès l’anamnèse, relever la présence de facteurs de risque comme le tabac, le contrôle de plaque pour les plus connus. Le stress fait partie des facteurs environnementaux qu’il convient de mettre en évidence et pour lequel la quantification n’est pas facile à l’heure actuelle. Nous nous basons sur des questionnaires (échelle HAD, Likert, PSS…) qui sont remplis par le patient et qui nous permettent de quantifier le stress et l’anxiété. Le problème majeur est que ces questionnaires sont subjectifs. Quant aux personnes déprimées, elles en parlent plus volontiers, car elles sont souvent médiquées et en traitement. Mais nous rencontrons également des patients qui ne veulent pas reconnaître qu’ils sont au bord du burn-out.
Une fois le diagnostic établi, il faut adopter une approche individualisée et trouver les bons termes pour expliquer au patient qu’il a un rôle d’acteur dans la réussite du traitement et que, ensemble, avec le praticien, ils peuvent obtenir de bons résultats. L’éducation thérapeutique est particulièrement importante.
Les traitements non chirurgicaux seront préférés en période de stress car, du fait de la vasoconstriction, la cicatrisation est moins bonne et les patients moins en état de supporter des souffrances.
Le suivi parodontal sera fait sur mesure et avec l’aide du patient qui, s’il a bien compris, s’il est motivé et coopérant, viendra plus fréquemment chez le dentiste pendant ces périodes stressantes. Souvent, les patients disent qu’ils ressentent qu’ils ont besoin d’une séance de suivi et que celle-ci les soulage.
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